Première journée, première auscultation…

A peine Odile et Bruno s’étaient-ils engagés à m’accueillir qu’ils voulaient déjà vérifier le bon déroulement de ma croissance future. Savoir si mes bases étaient saines, s’assurer qu’adopter le Château des Fontenelles était une bonne idée, faire des plans, répartir mes futures fonctions…. Pour ce faire ils appellent leur ami architecte, explique leurs inquiétudes et leurs espérances, cherchent le réconfort devant un choix aussi lourd pour leur avenir. Comme tous les spécialistes et les normands,  une merveilleuse réponse proche du ni oui ni non les laisse face à leur responsabilité, mais il s’engage à les aider sous réserve de réaliser une échographie prénatale… pour un château né il y a six siècles !

J’ai eu beau leur expliquer que  tout se passait bien depuis l’apparition de mon aile nord avec la famille des Vignes,  l’apparition de mes deux extensions au début et à la fin du XVIIème siècle, qui m’ont  permis d’atteindre ma taille actuelle, en doublant mon volume global à chaque étape. Je les ai laissé me visiter maintes fois, mais l’archi est formel me connaître dans toutes mes dimensions est indispensable à toute réflexion. L’échographie d’un bâtiment de 38m de long par un peu moins de 8m de large n’est pas chose aisée. Ne connaissant personne dans ce domaine, Odile et  Bruno ont décidé de choisir un spécialiste, un géomètre. A les entendre il semblerait que le choix d’un spécialiste est aussi compliqué pour le bâtiment que pour la médecine. (Bruno profitera certainement d’un moment d’accalmie dans mon évolution pour vous conter combien le choix d’un docteur peut avoir des conséquences surprenantes. Je l’ai plusieurs fois entendu parler de ses déboires et j’ai cru comprendre qu’il les a consignés dans un écrit de quelques centaines de pages…).

Cinq géomètres sont venus me voir pour évaluer le temps et le type d’appareil nécessaire pour mener à bien l’opération. Premier constat, bien que tous  d’accord sur les mesures à prendre, le fait de ne pas avoir de compte à rendre à l’URSSAF leur donne une liberté de tarification qui n’a pas manqué d’étonner. Avec un rapport de un à quatre pour la même prestation, de 2 500 à plus de 10 000euro, mes adoptants ont compris que ce n’était que le début des surprises. Ils se sont renseignés auprès de leurs connaissances et ils ont choisi. Trois personnes sont venues me voir, pendant trois jours m’ont chatouillé dans tous les coins avec leur rayon laser, ont ouvert tous mes volets et mes fenêtres pour me comparer à leur point de base GPS, comme ils disent. Et puis plus rien, à nouveau le noir. Odile et Bruno qui pensaient avoir rapidement le résultat ont dû attendre pendant un mois que l’ordinateur compile et ordonne les mesures pour découvrir une première image, les plans du château en trois dimensions. Les voilà heureux, ils s’empressent de les communiquer à leur ami architecte, et se mettent à gribouiller sur ceux-ci différentes solutions d’avenir sans réellement me demander mon avis.

Après de longues heures de réflexion ils pensent détenir un programme envisageable et ne cessent d’en parler, et la(s) encore ils se précipitent pour soumettre leurs élucubration au spécialiste, qui débordé ne trouvera son premier créneau que plusieurs semaines après. Plusieurs reports de RDV après, une séance de travail commence. Et patatras les idées esquissées sont balayées, de plus l’échographie ne semble plus suffisante pour faire le bon diagnostic ! Le docteur, pardon l’archi veut me déshabiller Tous pareils ces hommes, à peine arrivé dans leurs mains ils veulent nous ausculter, nous vérifier, nous nettoyer….

Je suis maintenant trop habillé, ils veulent découvrir mes dessous ! Pour regarder sous mes…parquets. Savoir comment j’ai utilisé les nombreuses poutres que l’on m’a prêtées pour porter mes charges depuis quelques centaines d’années. Ils parlent même de les remplacer par des produits beaucoup plus modernes en béton. Heureusement Odile et Bruno qui partageaient leur première journée avec moi ont été délicats. Ils ont essayé de trouver les petits coins qui ne me défigureraient pas, soigneusement ranger les parquets soulevés pour pouvoir me les restaurer. A suivre…